La bouse servie à l’assiette par Lysiane Ganousse
La bouse servie à l’assiette
Verre, plats, assiettes, et même sucrier… ils trônent tous à la table des banquets imaginée par l’artiste Barbara Schroeder, comme une invitation à festoyer à la galerie le Préau. Avec cette petite singularité que toute la vaisselle est recouverte… de bouse de vache séchée. Matière à part, mais matière d’art.
Où sont passés les convives ? Dans quelle époque lointaine ont-ils été relégués ? Nul ne le sait. Mais de leur banquet restent les reliefs. Ou les promesses. Pièce maîtresse de l’exposition proposée dans la galerie Le Préau, la table est toujours dressée. On s’attend presque à entendre le loir sortir de la théière, et soupirer le chapelier Fou, furieux d’avoir été abandonnés de l’autre côté du miroir.
Quelques pièces d’argenterie, des assiettes dépareillées aux rares bordures dorées, sucrier, carafes, soupière… les pièces s’amoncellent autant à la verticale qu’à l’horizontale sur cet étrange autel profane. On peine cependant parfois à les identifier, unies qu’elles sont par une même matière qui les confond presque : la bouse de vache séchée.
La bouse, on n’en connaît généralement que les galettes éparses semées dans les pâtures, fumantes encore parfois de la chaleur du corps bovin qui vient de s’en libérer. Mais l’artiste Barbara Schroeder en a cette fois enduit la plupart des verres, tasses, soucoupes, chandelier ou lampe à pétrole, invitant cette matière à la table dont précisément – à titre d’excrément – elle devrait être bannie fermement. Sans aucune intention de choquer toutefois, mais bien au contraire de « renouer ». Designers de nos paysages ! « Parce que cette vaisselle, je l’embouse à titre d’hommage », confie l’artiste franco-allemande. « Dans une démarche qui renoue avec notre part animale.
Une façon pour moi de redonner sa place d’honneur au monde paysan. » Un monde ainsi invité à la table du banquet, et pas seulement pour en garnir les écuelles de multiples victuailles ! « Je voulais parler de ces gens qui font un travail noble et très dur, qui sont aussi les designers de nos paysages. Et j’avais envie, aussi, de remettre à l’honneur ce que, d’habitude, on se contente de fouler du pied. »
Cette table des banquets embousée, d’où percent de timides plantes vertes çà et là (« la bouse n’est-elle pas le meilleur des engrais ? »), a d’abord pris forme dans le Sud-Ouest de la France, avant de s’arrêter à Maxéville jusque mi- décembre, pour prendre ensuite la route de l’Allemagne. « Et comme je conçois cette œuvre à la fois évolutive et participative, à chaque étape s’ajoutent quelques pièces : de la vaisselle offerte par des contributeurs du coin, que je vais traiter à la bouse locale. »
La plasticienne performeuse (…) a érigé des colonnes, sculptures totémiques d’où la végétation s’échappe, là encore, dans un irrépressible élan.
Racines de porcelaine, arbre-potager, le visiteur découvre ainsi maintes facettes de cet art « enraciné ». Mais il se surprend à tourner encore et encore autour de ce merveilleux banquet nomade. À en contempler l’empreinte pétrifiée. Dans l’espoir, peut-être, qu’Alice consente un jour à s’y attabler.
- Lysiane Ganousse Est-Republicain