Fondation Joseph Beuys, 2018 /// Schloss Moyland
« (…) Chez Barbara Schroeder, originaire du Bas-Rhin, qui a trouvé il y a plus de trente ans sa nouvelle patrie près de Bordeaux, la pomme de terre est (…) au centre du cosmos. Cela inclut des œuvres de tous genres artistiques. Outre la peinture, le dessin et la sculpture, Schroeder associe également les arts plastiques et offre même un espace à la performance, la danse et la poésie. Alors que Polke a utilisé les pommes de terre comme readymade pour les présenter comme une source créatrice déroutante d’énergie d’origine cosmique, elle est chez Barbara Schroeder toujours reformulée de façon esthétique. Elle nous propose un anoblissement des impulsions initiales et immédiates de la créativité grâce à un raffinement et un style sophistiqué. (…)
Schroeder varie le thème de la pomme de terre à bien des égards. Cependant, le but de sa série n’est ni la complète d’interprétation, ni la variation formelle pour elle-même. Elle cherche plutôt à comprendre la pomme de terre en tant que symbole de la connexion entre l’homme et la terre. Ainsi la division de la série en 365 segments joue sur la longueur d’une année terrestre où pour Schroeder il s’agit moins de la dimension cosmique de la Terre en orbite autour du soleil, que de symboliser les processus naturels de croissance et de décroissance enchâssés dans le déroulement d’une année. (…) »
Dr. Alexander Grönert
Directeur de collection peinture, sculpture, photographie, arts plastiques à la Fondation Musée Schloss Moyland, collection van der Grinten, Joseph Beuys Archives de la région Rhénanie-du-Nord-Westphalie
___________________
Extrait : « (…) Cette image démultipliée de la pomme de terre m’évoque (…) une sorte d’agenda perpétuel, davantage lié au monde de la paysannerie qu’au monde urbain et policé. Elle est le sujet du tableau de jeunesse de Vincent Van Gogh Les Mangeurs de pomme de terre qui surprend une scène familiale autour d’un plat unique dans un intérieur sombre, aux couleurs terreuses et d’une simplicité rustique, comme elle revient tel un leitmotiv dans le film Le cheval de Turin (2011), réalisé en noir & blanc par Bela Tarr, qui fait état du quotidien ritualisé d’un cocher dont le comportement brutal face à l’animal plongea Nietzsche, en 1889, dans la prostration puis la démence. La pomme de terre est à classer parmi les aliments de base ; elle constitue une denrée essentielle pour les classes populaires. Comme il est vrai que le bourgeon de pomme de terre a fleuri brièvement les vestes de costume masculin à l’époque de Louis XVI…
(…) S’attacher à traiter le monde rural comme un sujet à part entière n’est pas étranger à un épisode ouvrant l’art à la modernité… Cela a même été une des clés de rupture avec l’académisme au milieu du XIXe siècle pour quelques peintres, aventuriers du Réalisme (Courbet, Corot, Daubigny…), dont le critique d’art Champfleury s’est fait le défenseur. Revenir à décrire des choses triviales, des scènes contemporaines, en prise avec des personnes qui ne soient plus des héros ou des saints issus de la mythologie ou de l’Histoire sainte, voici encore une source de création inépuisable que je retrouve à l’œuvre dans ton travail. Scruter l’infiniment banal et l’ouvrir à une polysémie de sens.
Ton histoire de pomme de terre dans toute sa diversité prend l’allure d’une planète qui englobe une totalité bien plus large qu’une simple histoire d’agriculture. De sa cueillette à sa dégustation, en passant la manière de les composer, de les décomposer, de les associer et les mettre en scène : c’est une expérience quasi encyclopédique de la pomme de terre ! (…) »
Claire Jacquet
Directrice Frac Nouvelle Aquitaine -MECA